Les projets Kickstarter que je supporte ne se limitent pas à des jeux auxquels je ne jouerai probablement jamais que quelques heures. On y trouve aussi aussi des documentaires bien ficelés, comme cette longue rétrospective (2 heures et demi quand même pour la version standard) consacré à la naissance de de l’industrie du jeu vidéo au Royaume-Uni : les premiers soubresauts avec la commercialisation de micro-ordinateurs abordables, souvent en kit, comme le ZX 80, les premiers jeux graphiques primitifs sur le ZX 81, puis l’explosion du marché avec l’arrivée du ZX Spectrum qui jeta les bases du business. À partir de ce moment, et à l’incrédulité générale, il fut désormais possible de gagner sa vie, parfois très bien, en créant des jeux vidéo. Cette période allait aussi permettre aux développeurs britanniques d’accumuler l’expérience et le capital qui leurs permettraient de rayonner mondialement quelques années plus tard sur des machines comme l’Amiga 500 et l’Atari ST.
Le documentaire est principalement constitué d’entretiens avec des acteurs importants de l’époque, comme Peter Molyneux (Populous), David Braben (Elite), Jeff Minter (Tempest 2000 et des jeux psychédéliques avec des chèvres) ou encore Rob Hubbard (musicien à l’origine de nombreuses mélodies inoubliables). Le tout est présenté de manière à peu près chronologique, avec quelques apartés thématiques, par exemple sur la création des premiers éditeurs et distributeurs ou la naissance de la presse spécialisée en Grande Bretagne. La période couverte va du début des années 80 jusqu’aux années 2000, mais en pratique le contenu est principalement consacré aux jeux 8 bit (surtout) et 16 bit. Le reste est évoqué plus brièvement vers la fin, mais est à mon avis moins intéressant de toute façon, la singularité des productions britanniques s’étant progressivement effacée à mesure que les budgets enflaient. La réalisation est très pro, avec des interviews bien filmées, une bande-son soignée, des images d’archives pertinentes et des extraits de jeux toujours en rapport avec les interviews. Pour résumer, du beau boulot des deux réalisateurs, qu’on sent réellement passionnés par le sujet. Leur volonté de faire les choses bien comme il faut explique d’ailleurs probablement le retard subi par le projet.
En étant parfaitement honnête, il faut reconnaître que comparé à la France, la production britannique de jeux 8 bit fut clairement supérieure, à la fois sur le plan qualitatif que quantitatif. Les raisons derrière ce phénomène sont discutables mais voilà mes hypothèses :
- Une guerre des prix entre les différents acteurs beaucoup plus intense qu’en France, aussi bien sur les machines que les jeux. D’après mes calculs¹, un Spectrum coûtait au Royaume-Uni 40% de moins qu’un MO5 en France, pourtant techniquement inférieur ! On vit également rapidement apparaître de gammes budget outre-Manche avec des titres facturés aussi bas que 2 ou 3 livres. Conséquence : un marché beaucoup plus important qui se professionnalisa rapidement.
- Une approche et un marketing de Sinclair et Amstrad purement axés sur le potentiel ludique de leurs machines respectives quand les Thomson en France avaient des ambitions plus éducatives (Acorn, très présent dans les établissements scolaires, était plus dans cette optique au Royaume-Uni) qui s’est souvent traduite par des produits bâtards qui ne brillaient ni par leur qualité ludique ni par leurs vertus éducatives.
Sur 16 bit les choses seront différentes, avec la création de nombreux titres exceptionnels des deux côtés de la Manche. En France, citons entre autres Another World, Flashback ou Dune et en Grande Bretagne, Speedball 2, Worms ou Lemmings.
Le documentaire est disponible en téléchargement ici pour une douzaine d’euros et la sortie de la version physique en DVD et Blu-ray est imminente. Je devrais normalement recevoir la mienne sous peu et ce sera sûrement l’occasion d’une mise à jour de ce post.
Mise à jour du 31/12/2014 : Réception du Blu-ray de From Bedrooms to Billions cette semaine ! Belle pochette mais juste le disque à l’intérieur, sans que ce soit vraiment une surprise de nos jours. À noter la présence de sous-titres en anglais, français, allemand, italien, espagnol et portugais. La durée du documentaire est toujours de 149 minutes, avec 13 petites minutes de suppléments pour la version Blu-ray.
- Prix du ZX Spectrum au Royaume Uni en 1983 : 125 GBP (385 GBP 2014 / 490 EUR 2014). Prix du MO5 en France en 1984 : 2 390 FF (700 EUR 2014)
23 janvier 2015 à 16:33
Hey! Depuis quand le MO5 est techniquement inferieur au spectrum 48K?
C’est parce qu’il a plus de pixels à l’écran (320×200 contre 256×192 pour le Spectrum?) ou parce qu’il a des blocs d’attributs plus petits (8×1 au lieu de 8×8)? Ou alors peut-être parce qu’il a un clavier à peu près utilisable?
Certes le processeur ne tourne qu’à 1MHz, mais ce n’est pas directement comparable, le processeur faisant plus de choses par cycle d’horloge.
Non, le problème du MO5 ce n’est pas qu’il est techniquement infèrieur. C’est le problème qu’a eu Thomson sur l’ensemble de sa gamme de ne jamais avoir vraiemnt réussi à être en avance sur ses concurrents. Quand Thomson a lancé le TO7, c’était pour concurrencer l’Apple 2. Quand ils ont lancé le MO5, c’était pour faire comme le Spectrum et l’Oric, qui sont arrivés un peu avant. Quand ils ont sorti le TO9 c’était pour faire comme l’IBM PC (bon ok là plus personne n’y croyait), et le TO8 pour faire comme l’Atari ST et l’Amiga, pendant que le MO6 concurrencerait le CPC464 (juste 2 ans trop tard!). Du coup ces machines un peu chères et pas forcément très innovantes ont eu du mal à trouver des développeurs pour bien les exploiter.
Pourtant le MO5 est capable de faire des choses tout à fait raisonables avec quelques efforts. Par exemple c’est la machine sur laquelle ont été développés Sapiens et le 5ème Axe, deux jeux qui exploitent plutôt bien les particularités de la machine.
Ah oui, et Thomson n’a jamais mis de vrai chip sonore dans ses machines. ça par contre c’est un vrai problème. Mais, le Spectrum 48K n’en avait pas non plus…
24 janvier 2015 à 16:40
Salut et merci pour ce long commentaire 🙂
C’est vrai que sur le papier les spécifications techniques le MO5 semblent donner l’avantage au MO5, mais en comparant les jeux sortis sur les deux machines, c’est plutôt le sentiment inverse qui domine. Beaucoup de jeux sur Spectrum sont fluides et réagissent au doigt et à l’œil alors que c’est extrêmement rare sur MO5, hormis il est vrai quelques très rares exceptions comme Le 5e Axe (probablement le jeu le plus abouti et ambitieux sur la machine d’ailleurs). Je pense que les compétences des programmeurs des deux côtés de la Manche étaient à peu près équivalentes (comme on le verra lors de la génération 16/32 bits), donc à mon avis il y a quand même anguille sous roche du côté du hardware, même si mes connaissances techniques ne me permettent absolument pas d’expliquer pourquoi. Après le MO5 reste une machine avec des atouts propres et sûrement adaptée à l’objectif qui était le sien, à savoir initier les enfants à l’informatique (et accessoirement rafler le marché du Plan Informatique Pour Tous).
Sinon je suis complètement d’accord à propos des problèmes de timing de Thomson quant au lancement des différentes machines de la gamme. Je pense que l’entreprise a toujours eu cette attitude de suiveur, beaucoup plus réactive que visionnaire, et cela s’est traduit par des ordinateurs qui, même si ils ne déméritaient pas, sortaient trop tard et trop chers. Le problème semble avoir été présent dès l’origine et s’est aggravé à la fin quand les dernières machines Thomson traînaient leur processeur 8 bit comme un boulet. Il faudrait écrire un livre sur ce gloubi-boulga de technologie, business et politique bien français 🙂
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