Pirate Kings est le premier jeu de Jelly Button, jeune start-up basée à Tel Aviv, d’abord sorti sur Facebook en fin d’année dernière puis sur iOS et Android mi-janvier.
Le jeu peut-être présenté comme un mélange de machine à sous (simulée) et de jeu de décoration. Le gameplay est simplissime : on tourne une roue pour gagner de l’argent qui servira à décorer une île déserte. Une fois l’île complétée (les 5 objets amenés au niveau 5), on obtient une nouvelle île, vide mais avec un thème différent et des décorations plus chères, et rebelote. À partir de la troisième île, on peut investir dans des ouvriers qui rapporteront un revenu régulier, comme les bâtiments dans CityVille.
La roue comporte 10 sections, 6 dédiées à des récompenses monétaires (de 1000 à 100 000 pièces) et 4 sections spéciales qui permettent respectivement d’attaquer un joueur au hasard, d’avoir une chance de détrousser le « cash king » (un joueur particulièrement riche, mais caché parmi trois joueurs), de gagner un bouclier qui protégera notre île d’une attaque et enfin de remporter des tours de roues supplémentaires. Toutes les sections de la roue sont en apparence de la même taille mais évidemment les probabilités réelles n’ont pas grand chose à voir, comme on peut le voir dans le tableau ci-dessous.
Le jeu est évidemment free-to-play et monétisé grâce à l’achat de pièces et de tours de roue, même si les joueurs semblent plébisciter ces dernières : les 6 articles les plus vendus sont tous des tours de roues en quantités variées. On peut évidemment aussi attendre si on ne souhaite pas passer à la caisse : on gagne 5 nouveaux tours de roue par heure avec un maximum de 50.
Visuellement le jeu est très propre mais dans le plus pur style «jeu Facebook en Flash» même si l’usage d’Unity a permis d’inclure des transitions 3D dynamiques qui lient élégamment les différentes parties du jeu en une unité de lieu. On remarque aussi un petit détail que j’aime beaucoup : la couleur du ciel qui change en fonction de l’heure de la journée.
Les résultats obtenus par Jelly Button pour leur premier jeu sont impressionnants : bientôt 1 million de « likes » sur Facebook et un titre dans le tout haut du classement en téléchargements et revenus iOS et Android (d’après AppAnnie) dans de nombreux pays d’Asie, du Golfe ou de Scandinavie à la monétisation respectable (Hong Kong, Singapour, Qatar, Suède ou Norvège) même si le jeu ne s’est pas encore imposé sur de très gros marchés. Le tout doit fournir des revenus plus que confortables à la jeune start-up.
Comment expliquer le succès du jeu ? Il est évidemment à chercher du côté du game design :
- Un gameplay simplissime mais très satisfaisant (la roue de la thune !), sorte de bandit manchot qui délivre perpétuellement des mystery boxes : je presse et j’obtiens systématiquement un cadeau surprise, jamais une pénalité.
- La connexion à Facebook fortement récompensée (entre autres, 50 tours de roue et 1 million de pièces) qui permet ensuite au jeu de proposer avec insistance d’inviter ses amis en échange de récompenses sonnantes et trébuchantes (20 tours de roue par invitation) avec à la clé une viralité qu’on devine importante.
- Des mécanismes de jeu volontairement addictifs : outre la pression pour acheter les quelques tours de roues qui manquent régulièrement pour pouvoir s’acheter un objet ou passer à l’île suivante, les décorations de l’île sont lentement détruites par les autres joueurs si on ne joue pas assez souvent pour obtenir des précieux boucliers, réduisant à néant le travail déjà effectué et éloignant d’autant la possibilité de passer à l’île suivante. Continuer à jouer revient donc à protéger le temps investi dans le jeu depuis le début. On retrouve les mêmes mécanismes dans FarmVille (les récoltes perdues si on ne revient pas à temps) où Clash of Clans (les ressources volées quand la base est sans bouclier) mais Pirate Kings les pousse un cran plus loin.
- Des fonctionnalités communautaires et compétitives efficaces : classements internationaux et entre amis Facebook, attaque d’autres joueurs puis possibilité de revanche, satisfaction d’avoir accès à des décorations avant ses amis… du grand classique qu’on retrouve dans beaucoup de jeux, de Boom Beach à CSR Racing.
In fine, le game design volontairement addictif et directif de Pirate Kings semble porter ses fruits et les joueurs y trouvent de toute évidence leur compte. Dans la réalité du marché du jeu vidéo mobile d’aujourd’hui, la majorité des titres les plus populaires propose du divertissement instantané, calibré pour des parties de quelques minutes répétées plusieurs fois par jour. À ce titre, Pirate Kings remplit parfaitement son contrat. En tant que professionnel du jeu vidéo, je ne peux que me réjouir de l’existence de tels jeux qui démocratisent le jeu vidéo comme jamais auparavant. En tant que joueur en revanche, et sans porter un jugement de valeur, je continuerai de privilégier les jeux qui ne me dictent pas mon emploi du temps.