Autant jouer carte sur table dès maintenant : les city builders et moi, c’est une histoire qui dure depuis presque 25 ans, même si ça a parfois été par intermittence. Lors de temps reculés où on trouvait encore une utilité à un ordinateur dépourvu de connexion internet, le SimCity originel fut le premier jeu auquel j’ai joué sur PC et probablement celui qui me marqua le plus. Malgré ces débuts prometteurs, j’ai réussi ensuite à passer outre SimCity 2000 et 3000 pour finalement me rabibocher avec la série une décennie plus tard par le biais de SimCity 4 sur lequel j’ai passé de trop nombreuses heures à perfectionner la mégalopole de New-Pithiviers.
En 2010, alors que je travaillais à Pékin pour le compte de Playfish, l’opportunité d’adapter SimCity pour Facebook se présenta à nous, le genre d’offre qu’on ne peut pas refuser. Le développement fut long et parfois cahoteux mais accoucha d’un jeu qui à mon avis ne démérita pas malgré les limitations de la plateforme et de la technologie Flash. Malheureusement l’histoire se termina rapidement en eau de boudin. Durant cette période j’ai aussi eu l’opportunité d’essayer City Life des français de Monte Cristo sans réussir à y accrocher, la faute en particulier au système rigide de classes sociales (cols bleus, bobos, élites…), en lutte plus ou moins ouverte, qui me parut alambiqué et un peu repoussant.
En 2013 Maxis finit par sortir son reboot très attendu de SimCity qui se fit à juste titre étriller par la critique : connexion internet obligatoire (corrigé plus tard lors d’un patch), cartes de dimensions ridicules, DLC payants… Je décidais de passer outre, souffrant en plus d’une légère overdose de city building après avoir travaillé sur SimCity Social pendant plus de deux ans.
Retour en 2015 avec la sortie de Cities Skylines qui nous intéresse aujourd’hui. Le jeu est développé par Colossal Order, un studio finlandais d’une vingtaine de personnes à qui on doit la série plus confidentielle des Cities In Motion, dédiée à la gestion de réseaux de transport en commun.
Quiconque a joué à SimCity trouvera instantanément ses marques dans Cities Skylines : interface similaire, même indicateur RCI, même code couleur pour les zones résidentielles, commerciales et industrielles, même paramètres à gérer. Comme dans son inspirateur, obtenir les meilleurs bâtiments nécessite à la fois la proximité des services adéquats et l’éloignement des nuisances. Ainsi une zone ni couverte par la police, les pompiers ou un hôpital, coincée entre une autoroute et une décharge publique, semble décourager les gens d’y construire des villas luxueuses. Va comprendre, Charles… Dans le mode standard, le jeu est relativement facile et équilibrer son budget généralement une formalité, ce qui permet de se concentrer sur la construction à proprement parler.
Colossal Order ne s’est jamais caché de vouloir sortir un successeur spirituel à SimCity 4 afin de reprendre le flambeau que Maxis avait laissé tombé après avoir trébuché piteusement avec le dernier SimCity (flambeau que Maxis ne ramassera probablement plus de toute façon, leur studio historique ayant entre temps été fermé par EA). Les créateurs de Cities Skylines semblent avoir eu le nez fin et les moyens de leurs ambitions puisque le jeu est une franche réussite à la fois commerciale et critique avec plus d’un million de ventes à ce jour et un score moyen de 85% sur Metacritic, à comparer aux 64% de SimCity 2013.

Même à ce prix là, je refuse d’échanger mon baril de Cities Skylines contre un baril de SimCity.
Après plus de 20 heures passées sur le jeu, je peux dire que c’est amplement mérité. Le jeu est stable et très accessible, l’interface bien pensée et les possibilités donnent presque le vertige. Les cartes sont immenses avec jusqu’à 36 km² de nature à bétonner (à titre de comparaison : 4 malheureux km² pour SimCity 2013, 16 km² pour SimCity 4). C’est évidemment au niveau des transports que l’expérience de Cities in Motion se fait sentir puisque le jeu permet de construire des routes complexes (une vingtaine de types disponibles !) et de définir des lignes de bus, de métro et de train dans les moindres détails. Chaque acteur affiché à l’écran, qu’il soit piéton, deux roues, voiture ou camion, représente un « agent » activement impliqué dans la vie de la cité : untel habite à telle adresse et va à l’université en mobylette, untel va faire des courses au Mega Mall en métro, untel rentre chez lui après une journée harassante à l’usine et doit marcher pendant une plombe jusqu’à l’arrêt de bus que j’ai mal placé par erreur, tel véhicule livre des matières premières à telle usine, tel autre camion amène des produits finis à la gare de fret où ils seront ensuite exportés, etc.
Là où de longues sessions de SimCity 4 me faisaient sombrer dans la tristitude (le camaïeu de marron/gris/caca d’oie comme palette et les musiques toutes aussi chouinantes les unes que les autres y étant sûrement pour quelque chose), l’usage prolongé de Cities Skylines produit pour l’instant un résultat opposé sur moi. SimCity 4 dépeignait les villes comme d’énormes machines où les individus n’étaient au mieux que suggérés et l’ambiance générale du jeu était assez anxiogène. Cities Skylines présente les faits de manière beaucoup plus zen et si la ville klaxonne et ronronne, c’est avant tout le résultat de l’activité de tous les « agents » qui la peuplent. Suivre un bus sur toute sa ligne en mode spectateur (interface cachée), le voir emprunter les plus grosses artères de la ville ou des petites routes de campagne pour y déverser ses passagers aux arrêts qu’on a judicieusement placés est une expérience contemplative étonnamment relaxante.
Oh bien sûr, graphiquement Cities Skylines n’impressionnera pas grand monde avec ses bâtiments et véhicules souvent quelconques et manquant de variété. On déplore aussi l’absence de cycle jour/nuit ou même de saisons avec comme conséquence une notion du temps à peu près absente. Plus anecdotiquement, j’ai aussi constaté des petit soucis d’efficacité de la part des services municipaux chargés de l’enlèvement des ordures ou des macchabées, mais difficile de dire si le problème est dû à un bug du jeu ou à un défaut de conception de mon réseau routier.
Le jeu est très ouvert aux mods et c’est sûrement cet aspect qui fera que les plus acharnés y joueront encore dans 10 ans, comme ce fut le cas pour SimCity 4 : les cartes ou les bâtiments sont modifiables dans leurs moindres détails on peut très facilement importer des nouvelles assets dans le jeu via Steam Workshop. Des mods plus ambitieux qui améliorent l’interface ou modifient les paramètres de la simulation sont aussi déjà disponibles et devraient continuer à débouler dans les années à venir. En tout cas la création de bâtiments pour le jeu est quelque chose que j’espère avoir l’opportunité de tester dans le courant de l’année, l’absence d’architecture brutaliste se faisant douloureusement sentir.
19 mai 2015 à 09:20
Salut!
Dans un genre un peu différent, il y avait aussi SimTown chez Maxis, et Constructor et Street Wars chez Studio 3. Je ne sais pas si on peut encore parler de « city builders » pour ces jeux, mais ça mérite peut-être le détour?
19 mai 2015 à 22:56
Salut ! Merci pour les suggestions. J’avais voulu essayer SimTown à un moment parce que le concept de SimCity simplifié m’intéressait beaucoup, mais je n’ai jamais réussi à le faire fonctionner sur un PC moderne. Je ne connaissais pas Street Wars, par contre Constructor me dit vaguement quelque chose. A première vue il me semble qu’il s’agit plus de jeux « Tycoon » que de city builders à proprement parler. Dans cette catégorie SimCity semble aovir eu très peu de concurrents sérieux en fait ! La série des Tropico peut-être ?
20 mai 2015 à 15:44
Je ne sais pas exactement ou est la limite entre les « Tycooon » et les city builders. Si on regarde par exemple Transport Tycoon ou Railroad Tycoon, on a quand même pas mal de choses qui rappellent un peu la gestion de Sim City (surtout pour les transports, évidement).
Pour Constructor et Street Wars, il y a un peu des deux. On joue sur un terrain fixe (les blocs de la ville sont des parcelles définies par la mairie), mais il reste quand même plein de choses à gérer: éviter de construire une maison juste à côté d’une usine ou penser à installer le double vitrage, mettre des stations de métro à tous les coins de rue, ne pas oublier de mettre des arbres dans les jardins des maisons, le tout sans oublier de répondre aux missions spéciales demandées par la mairie (construire un parc à l’autre bout de la ville avec dedans 8 arbres et un bassin), et en s’assurant que les locataires dans les maisons sont heureux, font des enfants, qui deviendront plus tard locataires ou ouvriers.
Et tout ça, c’est juste le mode sans adversaire. On peut compliquer les choses avec 3 concurrents (humains ou ordinateurs) qui vont tout faire pour mettre le bazar dans le quartier, en organisant une rave party au milieu de la rue, en sabotant les maisons, ou en venant squatter nos parcelles pour y installer leurs usines.
Pour les city builders purs et durs, on peut quand même mentionner Micropolis. C’est un cas particulier, puisqu’il s’agit en fait du jeu Sim City original dont le code source a été publié. Il y a aussi lincity et lincity-ng, des jeux open source un peu différents (je n’ai pas trop accroché mais je n’ai pas testé depuis assez longtemps).
20 mai 2015 à 23:14
Pour moi la différence entre tycoon et city builder tient surtout au fait que dans un city builder comme SimCity, tu ne construis pas directement les bâtiments de la ville mais joues surtout sur l’environnement qui permettra de les faire apparaître. Les jeux Tycoon me semblent plus orientés gestion, avec un contrôle plus direct de ce que tu construis. Enfin je reconnais qu’en pratique la distinction n’est pas toujours aussi claire 🙂
À te lire, Constructor a vraiment l’air sympa, il va falloir que je regarde ça de plus près !
C’est marrant que tu mentionnes Micropolis et LinCity-NG parce que j’étais justement tombé dessus en faisant des recherches hier. Je vais essayer LinCity mais je ne me fais pas trop d’illusion, le projet ayant l’air de partir un peu dans tous les sens. Par contre je suis sûr que j’apprécierai Micropolis puisque je pense que le premier SimCity est toujours agréable à jouer aujourd’hui malgré ses limitations. Et ce n’est pas que de la nostalgie, j’ai découvert la version SNES récemment sur un émulateur pendant un vol transatlantique et ça m’a bien occupé 4 ou 5 heures d’affilée 🙂
21 mai 2015 à 06:09
Du coup, j’ai du mal à voir ce qu’on peut faire de différent dans la catégorie « city builder ». Comme tu le dis dans l’article: « interface similaire, même indicateur RCI, même code couleur pour les zones résidentielles, commerciales et industrielles, même paramètres à gérer. Comme dans son inspirateur, obtenir les meilleurs bâtiments nécessite à la fois la proximité des services adéquats et l’éloignement des nuisances. ». Et je crois qu’on peut très vite tomber dans le système un peu ennuyeux de « j’ajuste des valeurs dans un tableau et je vois ce que ça donne » avec assez peu d’interractivité – ce qui donne quand même quelques pistes de jeux pas forcément inintéressants, je pense à Millenium 2.2 et à Deuteros (sur le thème de la conquête spatiale). Mais on est loin du city builder, du coup 🙂
Le seul jeu qui aurait peut-être aussi pu rentrer dans cette catégorie, c’est peut-être Sim Mars, mais c’est difficile à dire vu qu’il a été annulé avant sa sortie.
Il y a aussi Sim Park, ou on doit gérer un parc naturel. Le principe est un peu similaire, si je me rapelle bien (ça fait pas mal d’année que je n’y ai plus joué): il faut planifier le parc, et ensuite les animaux et plantes correspondants viennent s’y installer: des lions dans les zones de « savane », etc.
Une originalité du côté de Lincity NG, c’est de proposer un jeu avec une autre fin possible. On peut soit arriver à construire une ville autonome en ressources (eau, électricité, etc), soit polluer complètement l’environnement, et terminer par construire un vaisseau spatial pour quitter la planète et aller s’installer ailleurs (idée probablement empruntée à Civilisation?).
31 mai 2015 à 22:07
Je pense que l’élément clé des city builders, c’est surtout le fait que tu peux marquer des zones pour un usage spécifique mais tu ne places pas directement les bâtiments et donc que ça se rapproche un peu d’un jeu consacré à l’agriculture : tu sèmes mais tu ne fais pas pousser les plantes directement, et la qualité des plantes dépend de conditions extérieures sur lesquelles tu as plus de contrôle. Mais effectivement, je ne sais pas si ça laisse beaucoup de marge de manœuvre par rapport à la recette de SimCity. Apparemment les seuls jeux qui sont des city builders dans ce sens du terme et qui ont essayé d’innover sont City Life (testé, et bof d’après moi) et Cities XL/Cities XXL (non testé pour l’instant, mais un peu échaudé par son prédécesseur). Ah, et il y a eu aussi SimCity Societies qui fut une sorte de spin-off de SimCity avec un fonctionnement un peu différent. Pas testé mais il fut réalisé par une autre boîte de Maxis et apparemment ne faisait pas honneur du tout à la série 🙂
Il me semble qu’il y a une « total conversion » Sim Mars pour SimCity 4, qui tente probablement de se rapprocher du projet annulé. Je ne l’ai pas essayé mais ça a l’air sympa sur les captures d’écran.
J’ai pu tester LinCity NG et à première vue c’est quand même très loin d’un SimCity, ce qui n’est pas vraiment une surprise. Par contre Micropolis est très sympa comme je l’imaginais. Evidemment la simulation est très basique comparé aux city builders récents mais ça reste très cohérent et toujours prenant. En plus on peut charger les sauvegardes du SimCity originel, ce qui me permet de retrouver des villes que j’avais construit en 1992 ou 1993 🙂 À propos, quelqu’un m’a aiguillé vers CITY.3D, un jeu web qui reprend la simulation de Micropolis mais avec des graphismes WebGL. Très sympa mais encore incomplet : http://lo-th.github.io/3d.city/
Pingback: Micropolis et ses dérivés, SimCity 1 réanimé | 16 Couleurs