Ça y est, il est enfin sorti, le jeu Thomson sur lequel Préhisto (de Puls) et moi, épaulés par Maf, travaillions dans le plus grand secret depuis plus de 4 ans.
En juillet 2014 j’avais entrepris de créer quelques mockups de portages imaginaires de jeux à succès sur Thomson, pour avoir une idée de ce à quoi ils auraient pu ressembler en utilisant le mode graphique bitmap 16 qui permet généralement d’obtenir un résultat supérieur aux autres ordinateurs 8 bits du fait de la palette de 16 couleurs redéfinissable et de l’absence de contraintes de blocs. Plus généralement, j’étais à l’époque en plein doute existentiel : pourquoi y avait-il des jeux fluides et jouables à profusion sur ZX Spectrum, Commodore 64 ou Amstrad CPC, mais si peu sur Thomson ? Y avait-il un problème technique inhérent à l’architecture de ces machines ou bien tout simplement les programmeurs n’avaient-ils pas su (ou pas pu) les exploiter à leur vrai potentiel, la petite taille du marché et manque de concurrence sur celui-ci limitant le temps alloué à chaque projet ?
J’avais donc commencé avec un mockup de Jetpac, le hit de Tim et Chris Stamper disponible sur une multitude de plateformes 8 bits mais pas sur Thomson. Avec le recul, ce mockup était un peu bâclé, mais le but était d’en réaliser tout une série (le prochain devant être le jeu d’arcade Mario Bros mais celui là est resté jusqu’ici au stade de projet). J’avais posté ce mockup sur Logicielsmoto, un forum spécialisé Thomson et quelques semaines plus tard, alors que je n’y pensais plus vraiment, j’eu la bonne surprise d’être contacté par Préhisto qui m’annonça qu’il avait commencé à travailler sur le jeu.

Fini les plateformes qui lévitent et les poulpes qui ressemblent à des poux.
S’ensuivit un échange de nombreux emails et il est rapidement apparu que Préhisto parvenait à extraire du TO8 beaucoup plus que communément admis. Fort de sa connaissance intime de l’architecture des machines Thomson, il était en train d’obtenir un résultat inespéré sur cette plateforme, jugez du peu :
- Rafraîchissement constant de 25 images par seconde, quel que soit le nombres de sprites à l’écran (la plupart des jeux Thomson se traînent plutôt à 10 images par seconde, voire moins)
- Mixage logiciel de sons digitalisés sur trois voix en tâche de fond (quasiment tous les jeux sur Thomson se contentent de bips basiques. Quelques-uns proposent des sons digitalisés, mais jamais sur trois voix)
- Musique digitalisée de qualité CD sur l’écran de titre (aucun jeu ne propose ça à ma connaissance)
- Animation plein écran avec son en introduction (idem, du jamais vu sur Thomson)
Bref, de l’inédit sur Thomson et sur beaucoup de machines 8 bits. Préhisto partage certaines de ses trouvailles techniques ici. Rappelons que le Thomson TO8 est un ordinateur sorti en 1986 disposant d’un processeur Motorola 6890e à 1 Mhz et de 256 à 512 Ko de RAM. Le mode graphique utilisé pour le jeu est le 160×200 avec 16 couleurs choisies parmi une palette de 4096. Pour donner un peu de contexte à ces chiffres, comparé à un PC moderne avec un microprocesseur Core i7 et 8 Go de RAM, le TO8 dispose d’un microprocesseur environ 200 000 fois plus lent (0.42 MIPS) et d’une mémoire vive 30 000 fois moindre (256 Ko).
La réalisation des graphismes a demandé beaucoup moins d’astuces même si le jeu a représenté une masse de travail importante pour accorder tous les éléments et fignoler le tout autant que faire se peut. Au delà de l’aspect esthétique à proprement parler, j’ai toujours tenté de privilégier la lisibilité de l’action, en particulier la nécessité de distinguer immédiatement ce qui relève de l’avant-plan et de l’arrière-plan, même quand l’écran devient très chargé à mesure que la difficulté augmente. Un gros avantage pour moi fut que je n’eu pas à me préoccuper de construire les niveaux avec des tiles, comme c’est souvent le cas sur 8 bits pour économiser de la mémoire (voir mes expérimentations sur la NES, par exemple). Ça explique en grande partie pourquoi les niveaux sont aussi variés visuellement : chacun d’entre eux est en effet une image utilisant toute la résolution et les couleurs disponibles, la seule contrainte étant la position des plateformes. Rien d’exotique aussi au niveau des outils utilisés pour les graphismes : Grafx2 et Pro Motion NG pour tout ce qui apparaît dans le jeu, Adobe Animate pour l’animation d’introduction, convertie ensuite avec un script ImageMagick, et pour l’étiquette de la disquette, Leonardo (un nouveau programme de dessin orienté tactile que je recommande) et Illustrator. Pour le site web j’ai utilisé Xara Web Designer mais ce fut assez fastidieux donc je ne renouvellerai pas l’expérience (aujourd’hui je privilégierais plutôt un outil moderne comme Mobirise). Pour le trailer, j’ai eu recours aux classiques Adobe Premiere et Adobe After Effects. Les captures du jeu sont le résultat le classique OBS Studio et les GIF des très pratiques ScreenToGif et GifCam. Le jeu a été beaucoup testé avec les émulateurs DCmoto et Téo, mais aussi sur le hardware d’origine.
Le but initial était de prouver que le Thomson TO8 pouvait faire aussi bien que les machines concurrentes de l’époque (les ZX Spectrum, Amstrad CPC ou Commodore 64) et à l’arrivée il semble même qu’il pouvait faire beaucoup mieux sur ce type de jeu ! Laissez-moi vous dire que ces derniers jours, dans les hautes sphères de Sinclair ou Commodore, c’est l’affolement général… ou tout du moins le jeu leur aurait peut-être fait hausser les sourcils il y a 30 ans.
Les retours de la communauté Thomson et au delà ont été très positifs (voir ici, ici, ici, ou ici, par exemple) et je pense que l’effet de surprise a également joué en notre faveur, personne ne suspectant notre plan diabolique de réhabilitation posthume des TO8 et TO9+.
Pour contexte, voici le genre de jeux auxquels je jouais petit sur le TO8 familial et qui étaient considérés comme étant dans la norme du point de vue des performances. Game Over, avec son action sur écran fixe et ses nombreux sprites, est assez similaire à Mission: Liftoff d’un point de vue technique, mais il tourne en 320×200 (avec les contraintes de blocs qui vont avec), est quasiment monochrome et plafonne à 5-10 images par seconde. Imaginez aussi quelques petits prouts en guise de sons. De rares jeux exploitaient le même mode graphique que Mission: Litftoff pour obtenir un résultat très sympathique comme Turbo Cup, mais avec un framerate toujours anémique (5 images par seconde ?) et quasiment pas d’effets sonores. Ceci dit, loin moi l’idée de dénigrer les développeurs des jeux Thomson des années 1980. Les conditions de travail étaient incomparables et j’imagine que généralement les développeurs étaient payés au lance-pierre et se voyaient imposer des délais extrêmement serrés. En fait les « avantages compétitifs » qui ont permis la sortie d’un jeu comme Mission: Liftoff étaient tout simplement inaccessibles à cette époque : que ce soit aussi bien l’expérience (impossible mathématiquement de disposer alors de plusieurs décennies d’expérience de programmation sur Thomson comme Préhisto), le temps (pouvoir prendre le temps de réfléchir et de voir le jeu d’un œil neuf après une pause de plusieurs mois est un luxe énorme) et l’accès à des outils de développement modernes, puissants et stables.
Un petit mot pour l’utilisation du jeu sur émulateur : il faut bien veiller à utiliser les touches qui émulent le fonctionnement d’un joystick, le jeu ne supportant pas le clavier pour des raisons de performance. Avec DCmoto (Windows), ce sont par défaut les touches 1, 2, 3, 5 et Entrée du pavé numérique mais je recommande de changer la touche « action » pour Ctrl, ce qui vous évitera pas mal de crampes. Avec Téo (Windows, Mac, Linux), utilisez les touches 2, 4, 6, 8 du pavé numérique et le Ctrl ou Shift de droite. Il existe aussi une version du jeu « clé en main » pour Windows, qui tourne avec DCmoto et est disponible ici. Pour cette version et pour les émulateurs, il est aussi possible de jouer avec une manette connectée en USB, comme le modèle Buffalo que j’utilise.

Bientôt dans toutes les bonnes boucheries
Et maintenant ? Je souhaiterais pouvoir proposer une édition physique du jeu (boîte imprimée, disquette, manuel) à un prix raisonnable en début d’année prochaine. Ça sera quelques dizaines d’exemplaires tout au plus, ce qui parait réaliste au vu du petit nombre de véritables enthousiastes des machines Thomson. Ensuite je ne pense pas embrayer sur un autre jeu TO8 tout de suite, certains de mes projets sur d’autres plateformes ayant pris beaucoup de retard du fait du travail sur Liftoff. J’espère néanmoins que ce jeu motivera d’autres passionnés à pousser les machines Thomson dans ses derniers retranchements. Peut-être un jeu avec un scrolling fluide, qui sait ?
24 octobre 2018 à 09:49
Un boulot impressionnant et sur TOUS les plans, aussi bien technique, que graphique ou sonore ! Je suis vraiment bluffé. Je ne sais pas trop ce que le TO8 a dans le ventre, moi qui ai fait mes premières armes sur TO7 et MO5 dans les années 80, mais j’imagine qu’il ne doit guère être supérieur au TO7. Vraiment très très impressionnant ! Bravo !
24 octobre 2018 à 22:48
Merci Seb 🙂 Les TO8/TO9+ c’est le même CPU et grosso modo la même architecture que les MO5 et TO7, mais avec beaucoup plus de RAM et des modes graphiques en plus. Les TO8/TO9+ c’est un peu les STE avec 4 Mo de RAM de la gamme ST 🙂
25 octobre 2018 à 07:17
Ca reste une bécane à 1Mhz c’est ca ? Et côté mémoire, le jeu requiert combien ? Je sais que le max c’est 512. Les graphismes sont en mode 320×200 aussi ? Tu l’as sans doute déjà dit, mais j’ai la flemme de tout relire j’avoue ! 🙂
25 octobre 2018 à 08:24
Oui, CPU à 1 Mhz. et le jeu tourne avec 256 Ko de RAM (TO8 classique) mais avec 512 Ko (TO8 avec extension de mémoire ou TO9+), il offre en plus l’animation d’introduction et la musique dans les écrans de présentation. Le jeu en lui-même est identique. C’est du 160×200 16 couleurs pour les graphismes, donc avec des pixels plus larges que hauts (l’inverse de la moyenne résolution du ST). Mais merci de me demander, ces infos auraient du être dans l’article et je viens de les ajouter !
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