Warlocked est un de mes jeux préférés tous supports confondus, en partie parce qu’il est basé sur une idée qui semble farfelue : un RTS pour Game Boy Color. Un RTS sur une console avec un CPU 8 bit de 8 Mhz ? Avec une résolution de 160 x 144 pixels et des sprites de 4 couleurs maximum ? Avec en tout et pour tout 2 boutons d’action ? On imagine volontiers le pire, mais le résultat est une petite perle injustement passée inaperçue.

Warlocked (Game Boy Color, 2000)
A l’origine du jeu se trouve Bits Studios, studio britannique aujourd’hui disparu après avoir développé une trentaine de jeux entre 1990 et 2006, principalement pour consoles Nintendo. Warlocked sort en juillet 2000 mais seulement sur le marché américain, avec Nintendo comme éditeur. Des ventes moyennes ont-elles découragé la sortie du jeu en Europe, ou a-t-on estimé qu’il n’était pas adapté aux goûts du Vieux Continent ? Dommage en tout cas, Warlocked aurait amplement mérité de franchir l’Atlantique.
En guise d’intrigue on devra se contenter de la sempiternelle embrouille entre orcs et humains à la sauce Tolkien. Rien de bien original pour un RTS, mais cela permet d’être en terrain connu dès le début du jeu.
Du point de vue du game design, le jeu est assez proche d’une version simplifiée de Warcraft, à savoir qu’on doit amasser des ressources qui serviront à construire des unités et bâtiments supplémentaires, lesquels permettront d’explorer la carte et de battre l’adversaire. Évidemment, le game design doit faire des concessions aux canons du genre à cause des contraintes techniques, mais sans que ce soit aux dépends de l’intérêt du jeu. Ainsi le jeu propose un choix de seulement 4 unités par faction (paysan, chevalier, archer et dragon), mais pour compenser le joueur dispose également d’unités aux aptitudes spéciales, les mages (sortes d’embryons des héros de Warcraft 3 !), qu’on conserve durant toute la campagne et qu’on peut invoquer lors des missions. Certains peuvent transformer les unités ennemis (entre autres, en bombes, cochons ou sac d’or), un autre leur transmet un virus contagieux, un autre peut soigner les unités blessées, etc. L’utilisation judicieuse des mages devient de plus en plus importante à mesure que le jeu progresse. Les 26 missions de la campagne (13 pour chaque camp) sont variées et obligent à adopter différentes tactiques.

Un des rares points noirs du jeu est le path finding très basique qui oblige à devoir garder un oeil sur les déplacements des unités qui ont tendance à rester bloquer dans un coin de la carte. l’IA des ennemis est également très simple et on peut regretter que l’adversaire ne construise jamais de nouveau bâtiments, ce qui rend les missions un peu statiques. Néanmoins le jeu dispose d’un mode 2 joueurs qui supprime ce problème et rend les parties beaucoup plus imprévisibles.
À l’usage la prise en main est efficace, les unités réactives et la taille des cartes bien adaptée aux missions (suffisamment vaste sans qu’y déplacer les unités ne devienne trop lent). Visuellement le jeu s’inspire de l’univers du Seigneur des Anneaux que tant de RTS affectionnent mais l’adapte parfaitement aux contraintes de la machine ; le résultat est mignon, très propre et extrêmement lisible. Lors des interactions avec les unités, on peut aussi noter les voix digitalisées (dont le classique « Yes, my lord « ), chose rare sur Game Boy Color. La technique utilisée est probablement assez pointue parce que malheureusement la qualité sonore des voix est bien inférieure lorsqu’on joue sur Game Boy Advance (qui doit émuler la puce sonore de la GBC), ou pire sur émulateur, ou elles deviennent complètement inaudibles.

Warlocked est un de ces jeux où l’équipe de développement s’est fixée un objectif de départ ambitieux (grosso modo, Warcraft sur GBC), mais dispose de la maturité et de l’expérience nécessaires pour proposer un produit parfaitement adapté au support ciblé, coupant du gras là où il faut et ne conservant que la substantifique moelle du RTS. Les parties sont courtes (généralement moins de 30 minutes) et variées, les objectifs clairs et on peut sauvegarder à tout moment (indispensable sur portable). Le jeu se montre également généreux niveau contenu comme le montrent les deux modes multi- joueurs et la présence de deux mini-jeux en bonus.
A noter qu’une suite nommée Wizards et apparemment plus orientée action fut commencée pour la Game Boy Advance. Le projet ne vit malheureusement pas le jour (manque d’intérêt de la part des éditeurs ?) mais on trouve une vidéo sur YouTube qui laisse une bonne impression.