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Petit hommage à DP Tool Club (1990-1997)

23 Commentaires

Logo du DP Tool Club jusqu'en 1996

Aujourd’hui dans la série « acteurs oubliés de l’informatique », parlons des distributeurs de logiciels shareware, freeware et domaine public. Penchons-nous en particulier sur un de leurs principaux représentants en France sur lequel il semble malheureusement exister très peu d’information aujourd’hui : DP Tool Club.

Pour rappel le shareware est un mode de diffusion de logiciels où une version gratuite plus ou moins limitée peut être échangée librement et gratuitement. Les utilisateurs qui le souhaitent peuvent ensuite payer le distributeur ou l’auteur directement pour obtenir la version complète. Les logiciels freeware et du domaine public sont eux entièrement gratuits, et dans le dernier cas l’auteur renonce en plus à toute forme de droit d’auteur.

Le shareware fut une façon très populaire de se procurer des nouveaux logiciels lorsque les alternatives légales ou bon marché étaient limitées. Le système connut son apogée au début des années 1990 du fait de la rencontre de plusieurs phénomènes :

  • l’offre de shareware était en pleine expansion, à la fois qualitativement et quantitativement, principalement sous l’impulsion de sociétés américaines comme Apogee Software (Commander Keen, Duke Nukem, Wolfenstein 3D…) et Epic Megagames (Jill of the Jungle, Tyrian, Jazz Jackrabbit…) ;
  • la demande était également en forte croissance, résultat de la démocratisation de l’informatique personnelle et de l’appétit pour du contenu bon marché qui l’accompagnait ;
  • Enfin, Internet ne s’était pas encore imposé comme plateforme de téléchargement (trop compliqué, trop cher, trop lent).

Les distributeurs de shareware se chargeaient de dupliquer à la demande les logiciels sur disquette et de les expédier par la poste à leur clients pour une somme modique, censée couvrir les frais de duplication et une légère marge. Une flopée de sociétés se développèrent sur ce créneau en France, comme la lecture de magazines informatiques de l’époque l’atteste : IFA, Floppy International, Phoenix-DP…

Distributeurs de shareware français

Vous êtes officiellement un vieux geek si ces noms vous disent quelque chose…

Si la plupart étaient de toutes petites structures artisanales à la réputation parfois discutable, DP Tool Club se distinguait par son professionnalisme, l’étendue de son catalogue et la culture qui transparaissait dans ses descriptions. Fondée en 1990 à Villeneuve d’Ascq (Nord), la société se procurait les logiciels directement sur les BBS américains spécialisés et proposait un gros catalogue de 150 pages où chaque titre était décrit en détail. Le catalogue était mis à jour tous les ans, avec entre-temps une lettre mensuelle d’information qui présentait les dernières nouveautés en quelques pages : les Nouvelles d’Ascq. Notons que contrairement à beaucoup de ses concurrents, DP Tool Club ne proposait pas de contenu « de charme », qui je suppose représentait une part importante du chiffre d’affaire du secteur à en juger par la place qui lui était réservée dans leur publicités.

Catalogue, bulletins et disquette DP Tool Club

Le fondateur de DP Tool Club se décrivait comme suit dans les pages du catalogue :

Un jeune quadragénaire, appartenant à l’espèce « éternel étudiant attardé », qui ferait n’importe quoi pour ne pas quitter son écran, par exemple animer DP Tool Club. Il s’appelle Nicolas Kelemen. Après des études secondaires aux USA, il est venu en France, juste à temps pour vivre Mai 68. Il a « fait » la fac de Sciences d’Orsay, quelques publications dans de grands journaux internationaux, une thèse, etc. Il a été Assistant des Hôpitaux de Paris en médecine nucléaire, puis a travaillé une dizaine d’années en informatique médicale dans un laboratoire privé dont il est encore actuellement consultant. Il a milité dans les Clubs Microtels à la glorieuse époque des TRS-80 et Apple II. Ce qui est scandaleux c’est qu’il n’a aucun diplôme d’informatique : c’est un imposteur !

À partir de décembre 1992, DP Tool Club fut également un des pionniers dans le développement du support CD-ROM, proposant ses propres compilations mensuelles dénommées CD-ASC et vendant des lecteurs CD-ROM à petit prix. Nicolas Kelemen avait compris le bouleversement qu’allait représenter le nouveau support pour la diffusion de logiciels et le défi que cela représentait pour son entreprise.

Les disquettes et les CD cohabitèrent pendant quelques années, assurant la prospérité de l’entreprise qui générait alors un chiffre d’affaires de plus de 2 millions d’euros et une marge supérieure à 10% (source: Infogreffe). Puis la technologie évolua, les attentes des consommateurs aussi, et en janvier 1996, DP Tool Club arrêta la diffusion sur disquette, citant les accès internet à 28.8K « bradés », la taille grandissante des logiciels et le petit prix des CD-ASC (99 F). Nicolas Kelemen en conclut que « plus rien ne justifi[ait] donc la diffusion sur disquettes, sauf le pognon ». DP Tool Club devint donc « simple » créateur et diffuseur de CD-ROM, au moins jusqu’en décembre 1996 avec la sortie du CD-ASC nº34. D’après ce que j’ai pu glaner sur le site d’Infogreffe (merci de me corriger si je me trompe), l’activité sembla ensuite marquer un tournant en 1997 (fin de la diffusion de CD-ROM ?) et continuer sous une forme beaucoup plus anecdotique avant la liquidation de la société en 2004.

DP Tool Club fut victime du même phénomène qui décima tant de magazines de jeux vidéo : ses clients étant par définition très technophiles, ils furent les premiers disposés à investir dans une bonne connexion Internet et donc à l’utiliser le plus possible pour leurs loisirs.

Nicolas Kelemen semble malheureusement être décédé au début des années 2000. C’était un vrai touche-à-tout capable d’évaluer n’importe quel logiciel, de l’austère soft de compta aux tout dernier jeux en passant par les utilitaires pointus ou les démos. DP Tool Club fut d’ailleurs sponsor d’une demoparty voisine, la Meeting 1995.

Pour bon nombre de trentenaires et quarantenaires actuels, pour qui l’informatique ne rima pas dès le début avec Internet, DP Tool Club fut non seulement une fenêtre vers l’extérieur mais aussi une leçon de professionnalisme et d’élégance, deux qualités pas toujours évidentes chez les pionniers.


Mise à jour du 12 juillet 2020 :

Un grand coup de chapeau à Archange427 qui a généreusement partagé sa collection de CD-ASC sur archive.org sous forme d’images ISO. Merci pour ce geste qui va permettre de préserver le travail de Nicolas Kelemen.

Auteur : HP

Professionnel de l'industrie vidéoludique depuis plus de 15 ans, j'écris principalement sur l'infographie, le business des jeux vidéo et la demoscene.

23 réflexions sur “Petit hommage à DP Tool Club (1990-1997)

  1. Je ne me rappelais plus du nom « DP Tool Club », par contre avec la mise en page du fascicule tout m’est revenu en mémoire ! Merci Hervé pour cette news !

  2. toute ma jeunesse, et j’ai toujours les cd rom de cette boîte, nostalgie quand tu nous tient…
    une sacrée aventure en tout cas.

  3. Quelle époque !
    Tombé dans les octets quand j’étais petit (80’s) DPTool m’a plus tard accompagné du début à sa fin.
    Effectivement d’un professionnalisme et d’une élégance rare et passionnée.
    j’attendais avec avidité chaque parution des nouvelles d’Ascq et je les garde toutes pieusement au format papier ainsi que tous les CD originaux avec un PC configuré d’époque pour les explorer encore et encore !
    Bravo pour cet hommage mérité à un pionnier avide de partage et non de profit.

  4. Le CD ASC ne contenait pas que des shareware. Il y avait un dossier « bazar » où on pouvait trouver des merveilles (démos, musiques) que je fouillais avec avidité à chaque fois que je recevais le CD.

    • J’avais la même relation avec le dossier « DEMOSGRP » des CD de PC Team 🙂
      Tu as toujours tes CD-ASC au fait ? Je participe au site Demozoo qui archive le plus possible de productions en rapport avec la scène démo et je suis sûr qu’on y trouverait des releases qui n’ont jamais été disponibles sur le net.

  5. Pingback: Flyers pour la LTP 1998 et LTP 1999 | 16 Couleurs

  6. Salut HP, merci pour ce bel article sur le mythique DP Tool Club !! J’étais ado à cette époque et je me rappelle bien de ce fameux catalogue papier..Un simple bon de commande avec un chèque et les disquettes étaient envoyées sous enveloppe avec une protection en bulle qu’on recevait 15j après. Je crois que j’ai encore les fameuses disquettes dans un carton. Comme ce n’était pas très cher, j’y ai passé un peu de mon argent de poche :D. Grace au DP Tool Club, j’ai notamment découvert Wolfenstein 3D en shareware (disquette 3,5p) que j’ai ensuite acheté en version complète et avec le soft pour créer des niveaux. Il y avait aussi des titres sympas en shareware moins connus comme Secret Agent, Blakestone ou Wacky wheels…Le truc c’est que comme il n’y avait pas (ou très peu) d’images, il fallait se fier à la description de l’auteur. On avait très souvent de belles surprises !!
    Ce sont de vrais bons souvenirs de gosse ! 🙂

    • Merci pour ton commentaire. J’ai eu une expérience très similaire au niveau des jeux que j’ai découvert grâce à DP Tool Club : Wolfenstein 3D et beaucoup de jeux Apogee. C’est vrai qu’il fallait faire jouer son imagination pour se faire un avis sur des jeux décrits en quelques lignes. Le peu d’images disponibles étaient en noir et blanc et n’aidaient pas beaucoup 🙂

  7. Bonjour et merci pour cette page pleine de nostalgie.
    Je viens juste de retrouver dans ma cave les CDROM DPTOOL du numéro 9 au 29 (visiblement je n’ai pas été au bout vu que votre page parle d’un CD ASC 34 !)
    Dans mes souvenirs, j’étais de plus sûr d’avoir commencé dès le numéro 1.
    Avez-vous justement souvenir sous quelle forme les premiers CDROM ASC ont été diffusés ?
    Etait-ce en boitier « cristal » dès le début ou bien les premiers numéros ont-ils été diffusés avec pochette cartonnée ?
    Si je pose cette question – a priori étrange – c’est juste pour savoir si ça vaut le coup que je cherche encore ou si effectivement, je n’avais bien commencé qu’au numéro 9…

    Et bravo encore pour cette très belle page !

    • Merci pour votre commentaire ! Malheureusement je ne peux pas vous répondre, je ne possède malheureusement pas de CD-ROMs ASC, à mon grand regret.

  8. c’est grace a mon pere et DP tool club, que j’ai connu Wolf3D, corncob3D et bien d’autre… j’adorais avoir des un infos d’ASCQ ..
    j’ai encore un ou 2 CD je crois, j’ai surtout les diskettes 3.5″ ..

    • J’ai aussi découvert Wolfenstein 3D et beaucoup d’autres jeux Apogee grâce à DP Tool Club, j’en suis également très reconnaissant !
      Je serais intéressé par les images disques des CD ASC en votre possession si ils sont antérieurs à 9 ou postérieurs à 29, si vous avez le temps de les partager sur Archive.org par exemple 🙂

  9. Bonjour,
    Que de souvenirs ! C’est dans la newletter des nouvelles d’Asc que j’ai vu pour la première fois imprimé le mot “Linux”, au début des années 90. Merci pour cet excellent article et sa non moins excellente documentation.

    • Merci pour votre commentaire. Je m’aperçois que DP Tool Club a eu une telle influence positive sur beaucoup d’entre nous et que nous sommes nombreux à s’en rappeler 30 ans plus tard !

  10. Un grand merci à l’auteur de cet article qui me rappelle de bons vieux souvenirs . Après avoir eu mon premier ordinateur vers 1993 ou 1994 ( un 486DX2-50 ) j’achetais des sharewares et freewares sur disquette de DP Tool Club, dont des jeux comme Prince of Persia fonctionnant sous MS-DOS . Une pensée pour son fondateur Nicolas Kelemen ( 1950-2003 ) , c’était lui qui décrivait et commentait les sharewares dans le petit catalogue , je crois .

    • Merci pour votre commentaire ! J’ai eu à peu près la même expérience avec DP Tool Club, même si j’ai dû commencer à commander des disquettes un peu plus tôt (1992 probablement). Il semble en effet que toutes les descriptions du catalogue étaient uniquement dues à la plume de Nicolas Kelemen. Du vrai travail de Romain, surtout quand on considère l’énorme quantité de programmes qu’il devait essayer pour ne proposer que les meilleurs dans la sélection de DP Tool Club.

  11. Bonjour,
    j’ai pris beaucoup de plaisir à la lecture de cet article qui évoque bien l’époque et le statut particulier de cette société. Pour ma part j’ai commandé quelques années, à partir de 91, jusqu’à mes premiers accès internet fin 95 (compuserve, aol, si ça parle à quiconque…)

    Le catalogue était très bien fait. Il était non seulement informatif mais on y trouvait aussi des touches d’humour. Certains descriptifs faisaient rêver. Je gardais le catalogue dans mes toilettes. C’est un compliment 🙂

    C’était une boîte qui faisait très sérieusement son boulot. Et pourtant on avait l’impression de faire partie d’un club, effectivement. Jamais eu de virus, jamais eu de pépin matériel avec les supports.

    Je n’ai acheté du shareware qu’une seule fois (Boxer, un éditeur de texte) mais à part ça j’ai dévoré tout le code que je pouvais trouver, GNU et autre. Merci à Lharc, vu que mon premier DD faisait 30 mégas…

    Pensées pour Nicolas Kelemen, il a fait très fort.

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